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arcaneslyriques
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Cercle littéraire "Arcanes Lyriques" retranscription des réunions.
Catégorie :
Blog Littérature
Date de création :
13.07.2007
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Hymnes à la nuit

Publié le 25/07/2007 à 12:00 par Odéliane, Erzebeth, Perceval
Hymnes à la nuit
Hymnes à la nuit de Novalis (extraits)


« Quel vivant, quel être sensible, n’aime avant tous les prodiges de l’espace s’élargissant autour de lui, la joie universelle de la Lumière - avec ses couleurs, ses rayons et ses vagues ; sa douce omniprésence dans le jour qui éveille ? Âme la plus intime de la vie, elle est le souffle du monde gigantesque des astres sans repos, et il nage en dansant dans son flot bleu - elle est le souffle de la pierre étincelante, éternellement immobile, de la plante songeuse, suçant la sève et de l’animal sauvage, ardent, aux formes variées - mais, plus que d’eux tous, de l’Étranger superbe au regard pénétrant, à la démarche ailée et aux lèvres tendrement closes, riches de musique. Comme une reine de la nature terrestre, elle appelle chaque force à d’innombrables métamorphoses, noue et dénoue des alliances infinies, enveloppe de sa céleste image chaque créature terrestre. - Sa présence seule révèle la prodigieuse splendeur des royaumes de ce monde.
Vers le bas je me tourne, vers la sainte, l’ineffable, la mystérieuse Nuit. Le monde est loin - sombré en un profond tombeau - déserte et solitaire est sa place. Dans les fibres de mon cœur souffle une profonde nostalgie. Je veux tomber en gouttes de rosée et me mêler à la cendre. - Lointains du souvenir, souhaits de la jeunesse, rêves de l’enfance, courtes joies et vains espoirs de toute une longue vie viennent en vêtements gris, comme des brouillards du soir après le coucher du soleil. La Lumière a planté ailleurs les pavillons de la joie. Ne doit-elle jamais revenir vers ses enfants qui l’attendent avec la foi de l’innocence ?
Que jaillit-il soudain de si prémonitoire sous mon cœur et qui absorbe le souffle douceâtre de la nostalgie ? As-tu, toi aussi, un faible pour nous, sombre Nuit ? Que portes-tu sous ton manteau qui, avec une invisible force, me va à l’âme ? Un baume précieux goutte de ta main, du bouquet de pavots. Tu soulèves dans les airs les ailes alourdies du cœur. Obscurément, ineffablement nous nous sentons envahis par l’émoi - je vois, dans un joyeux effroi, un visage grave, qui, doux et recueilli, se penche vers moi, et sous des boucles infiniment emmêlées montre la jeunesse chérie de la Mère. Que la Lumière maintenant me semble pauvre et puérile - heureux et béni l’adieu du jour ! - Ainsi c’est seulement parce que la Nuit détourne de toi les fidèles, que tu as semé dans les vastitudes de l’espace les globes lumineux, pour proclamer ta toute-puissance - ton retour - aux heures de ton éloignement. Plus célestes que ces étoiles clignotantes, nous semblent les yeux infinis que la Nuit a ouverts en nous. Ils voient plus loin que les plus pâles d’entre ces innombrables armées stellaires - sans avoir besoin de la Lumière ils sondent les profondeurs d’un cœur aimant - ce qui remplit d’une indicible extase un espace plus haut encore. Louange à la reine de l’univers, à la haute révélatrice de mondes sacrés, à la protectrice du céleste amour - elle t’envoie vers moi - tendre Bien-Aimée - aimable soleil de la Nuit, - maintenant je suis éveillé - car je suis tien et mien - tu m’as révélé que la Nuit est la vie - tu m’as fait homme - consume mon corps avec le feu de l’esprit, afin que, devenu aérien, je me mêle à toi de plus intime façon et qu’ainsi dure éternellement la Nuit Nuptiale. »







REFLUX

Publié le 25/07/2007 à 12:00 par Odéliane, Erzebeth, Perceval
REFLUX
Reflux de Pierre Reverdy.


Quand le sourire éclatant des façades déchire le décor fragile du matin ; quand l'horizon est encore plein du sommeil qui s'attarde, les rêves murmurant dans les ruisseaux des haies ; quand la nuit rassemble ses haillons pendus aux basses branches, je sors, je me prépare, je suis plus pâle et plus tremblant que cette page où aucun mot du sort n'était encore inscrit. Toute la distance de vous à moi - de la vie qui tressaille à la surface de la main au sourire mortel de l'amour sur sa fin - chancelle, déchirée. La distance parcourue d'une seule traite sans arrêt, dans les jours sans clarté et les nuits sans sommeil. Et, ce soir, je voudrais, d'un effort surhumain, secouer toute cette épaisseur de rouille - cette rouille affamée qui déforme mon coeur et me ronge les mains. Pourquoi rester si longtemps enseveli sous les décombres des jours et de la nuit, la poussière des ombres. Et pourquoi tant d'amour et pourquoi tant de haine. Un sang léger bouillonne à grandes vagues dans des vases de prix. Il court dans les fleuves du corps, donnant à la santé toutes les illusions de la victoire. Mais le voyageur exténué, ébloui, hypnotisé par les lueurs fascinantes des phares, dort debout, il ne résiste plus aux passes magnétiques de la mort. Ce soir je voudrais dépenser tout l'or de ma mémoire, déposer mes bagages trop lourds. Il n'y a plus devant mes yeux que le ciel nu, les murs de la prison qui enserrait ma tête, les pavés de la rue. Il faut remonter du plus bas de la mine, de la terre épaissie par l'humus du malheur, reprendre l'air dans les recoins les plus obscurs de la poitrine, pousser vers les hauteurs - où la glace étincelle de tous les feux croisés de l'incendie - où la neige ruisselle, le caractère dur, dans les tempêtes sans tendresse de l'égoïsme et les dérisions tranchantes de l'esprit.


La saveur du réel

Il marchait sur un pied sans savoir où il poserait l’autre. Au tournant de la rue le vent balayait la poussière et sa bouche avide engouffrait tout l’espace. Il se mit à courir espérant s’envoler d’un moment à l’autre, mais au bord du ruisseau les pavés étaient humides et ses bras battant l’air n’ont pu le retenir. Dans sa chute il comprit qu’il était plus lourd que son rêve et il aima, depuis, le poids qui l’avait fait tomber.

Pierre Reverdy.

La ballade de la geôle de Reading

Publié le 13/07/2007 à 12:00 par Odéliane, Perceval, Erzebeth
La ballade de la geôle de Reading
La Ballade de la geôle de Reading

par Oscar Wilde (1854-1900)


7 juillet 1896
1
Plus d’uniforme d’écarlate
Car rouges sont le sang, le vin,
Quand on le prit près de la morte,
Du sang et du vin sur les mains,
La pauvre morte qu’il aimait
Et dont il devint l’assassin.
Il marchait, habit gris râpé,
Parmi les Hommes en Procès,
Une casquette sur la tête.
Son pas semblait gai et léger,
Mais dans ses yeux ouverts au jour
Jamais ne vis tant de regret.
Tant de regret jamais ne vis
Dans les yeux d’un homme, levés
Vers la petite tente bleue
Qu’est le ciel pour les prisonniers,
Vers chaque nuage qui passe
Toutes voiles d’argent gonflées.
Parmi d’autres âmes en peine,
Dans l’autre cercle je marchais,
En me demandant si cet homme
Avait commis un grand forfait,
Quand une voix a dit tout bas :
« Ce gars-là va se balancer ».
Mon Dieu ! Les murs de la prison
Soudain se mirent à tourner ;
Le ciel au-dessus de ma tête
Brûla comme un casque d’acier.
Et bien qu’étant une âme en peine
Ma peine cessai d’éprouver.
Et je savais quelle hantise
Animait son pas et levait
Son regard vers le jour brutal
Tout habité par le regret :
Il avait tué son amour,
Aussi, pour cela, il mourrait.
***
Pourtant chacun tue ce qu’il aime,
Salut à tout bon entendeur.
Certains le tuent d’un oeil amer,
Certains avec un mot flatteur.
Le lâche se sert d’un baiser,
Et d’une épée l’homme d’honneur.
Certains le tuent quand ils sont jeunes,
Certains à l’âge de la mort,
L’un avec les mains du Désir,
Et l’autre avec les mains de l’Or.
Le plus humain prend un couteau :
Sitôt le froid gagne le corps.
Amour trop bref, amour trop long,
On achète, on vend son désir.
Certains le tuent avec des larmes
Et d’autres sans même un soupir.
Car si chacun tue ce qu’il aime,
Chacun n’a pas à en mourir.
***
A en mourir de mort honteuse
Par un sombre jour de disgrâce.
Chacun n’a pas la corde au cou
Ni de chiffon dessus la face.
Sous lui ses pieds ne tombent pas
Dans le grand vide de l’espace.
Il ne s’assied pas avec ceux
Qui restent pour le surveiller,
Au cas où il voudrait soustraire
A la prison son prisonnier,
Quand il laisse couler ses larmes
Ou quand il essaie de prier.
Il ne s’éveille pas pour voir
L’effroi dans le petit matin,
Un aumônier en robe blanche,
Un gendarme dur et chagrin,
Le gouverneur vêtu de noir,
Visage jaune du Destin.
Il ne se lève pas en hâte
Pour se vêtir en condamné,
Sous le rire gras du docteur
Qui note ses tics affolés,
Lui dont la montre fait le bruit
De coups de marteau assénés.
Et il ne ressent pas la soif
Qui vient lui sabler le gosier,
Quand le bourreau pousse la porte
Avec ses gants de jardinier,
Pour l’attacher de trois courroies
Qui tuent la soif de son gosier.
Point ne s’incline pour entendre
L’office funèbre qu’on lit,
Pas plus qu’il ne voit son cercueil
Quand son âme angoissée lui dit
Qu’il n’est pas mort, et qu’il pénètre
Au cœur de cet horrible abri.
Il ne regarde pas le ciel
Au-delà de ce toit de verre,
Et pour que meure son angoisse,
Lèvre d’argile sans prière,
Point ne sent sur sa joue qui tremble
De Caïphe un baiser de pierre.

2
Le soldat, habit gris râpé,
Fut six semaines à marcher,
Une casquette sur la tête.
Son pas semblait gai et léger,
Mais dans ses yeux ouverts au jour
Jamais ne vis tant de regret.
Tant de regret jamais ne vis
Dans les yeux d’un homme, levés
Vers la petite tente bleue
Qu’est le ciel pour les prisonniers,
Vers chaque nuage qui traîne
Sa toison blanche échevelée.
Sans mains tordues, comme ces hommes,
Ces pauvres hommes sans espoir,
Qui osent nourrir l’espérance
Dans le caveau du désespoir :
Il regardait vers le soleil
Et buvait l’air frais jusqu’au soir.
Sans mains tordues, sans une larme,
Sans un regard ni un soupir,
Il buvait l’air comme l’on boit,
Pour oublier, un élixir ;
La bouche pleine de soleil
Comme de vin ou de désir.
Et les âmes en peine et moi,
Dans l’autre cercle nous marchions.
Etions-nous maudits et coupables
D’un crime, d’un forfait ou non ?
Et nous regardions d’un oeil las
Le promis à la pendaison.
Etrange de l’apercevoir,
Passer d’un pas gai et léger.
Etrange ce regret surpris
Dans ses yeux vers le jour levés.
Etrange de penser enfin
Qu’il aurait sa dette à payer.
***
Le chêne et l’orme ont un feuillage
Qui pousse au temps des primevères ;
Lugubre est l’arbre du gibet,
Racine mordue des vipères.
Mais sec ou vert, l’homme y mourra
Avant les fruits que l’on espère.
Là-haut est le siège de grâce,
Où tous nos efforts veulent tendre.
Mais qui, à la corde de chanvre,
Du haut d’un échafaud veut pendre,
Ou par le col du meurtrier
Veut voir en dernier le ciel tendre ?
Danser au son des violons,
La Vie et l’Amour sont précieux.
Au son des luths, au son des flûtes,
Danser est rare et délicieux.
Mais pas de douceur quand on danse
En l’air, d’un pied souple et gracieux.
Nous l’observions, jour après jour,
Lourds de questions, l’œil indiscret,
En craignant que chacun de nous
Ne finisse sur le gibet,
Car qui sait vers quel rouge Enfer
L’âme aveugle peut s’égarer.
Bientôt le mort ne marcha plus
Parmi les Hommes en Procès,
Et je sus qu’il était debout
Dans le banc noir des accusés,
Et que, par bonheur ou malheur,
Jamais je ne le reverrais.
Tels des vaisseaux dans la tempête,
Nos deux chemins s’étaient croisés,
Sans même un signe et sans un mot,
Nous n’avions mot à déclarer ;
Nous n’étions pas dans la nuit sainte
Mais dans le jour déshonoré.
Entourés d’un mur de prison,
Nous n’étions que deux réprouvés,
Chassés tous deux du cœur du monde,
Et de Dieu même abandonnés :
Nous étions pris aux dents de fer
Du piège tendu au péché.

3
Dans la cour les pavés sont durs,
Le mur suintant est élevé.
C’était ici qu’il prenait l’air
Sous le ciel de plomb, escorté
(Car on craignait que l’homme meure),
Par deux gardiens à ses côtés.
Ou il s’asseyait avec ceux
Qui jour et nuit le surveillaient,
Au cas où il voudrait soustraire
A l’échafaud son condamné,
Quand il se levait pour pleurer,
Quand il se baissait pour prier.
Le gouverneur se montrait ferme
Sur le règlement, la pratique.
Le docteur expliquait la mort
Comme un simple fait scientifique.
L’aumônier laissait chaque jour
Un opuscule en viatique.
Deux fois par jour un pot de bière
Et une pipe qu’il fumait,
Et dans son âme résolue
La peur ne pouvait se cacher.
Souvent il se disait heureux
Que le jour du bourreau soit près.
Pourquoi cette parole étrange
Qu’aucun gardien ne demandait ?
Car celui qui a pour destin
D’être gardien, de surveiller,
Doit avoir pour visage un masque
Et garder les lèvres scellées.
Sinon il pourrait s’émouvoir,
Essayer de réconforter.
Que ferait la Pitié Humaine
Dans le Trou clos des Meurtriers ?
Quel mot de grâce en un tel lieu
Dire à son frère pour l’aider ?
Nous nous traînions dans notre cercle
Comme des Fous à la Parade !
Peu importait, car nous étions
Du Diable la triste Brigade :
Tête rasée et pieds de plomb,
Quelle joyeuse mascarade !
Rompre la corde goudronnée
En étoupe, les doigts en sang.
Récurer portes et planchers,
Puis frotter les barreaux brillants,
Sur deux rangs savonner le sol,
Et cogner nos seaux bruyamment.
Coudre des sacs, casser des pierres,
Et, dans la poussière, forer.
Hurler un cantique en heurtant
Nos quarts, et au moulin suer.
Au fond de nos cœurs, immobile,
Une terreur veillait cachée.
Comme une mer alourdie d’algues
Les jours se traînaient lentement.
On oublia le lot amer
De la dupe et du chenapan.
Mais un soir, rentrant de corvée
On passa près d’un trou béant.
La gueule jaune de la tombe
Une proie vivante attendait,
Et la boue réclamait du sang
Au cercle d’asphalte assoiffé.
Nous sûmes qu’avant l’aube claire
Un homme se balancerait.
La Mort, la Peur et le Destin,
Nous laissèrent l’âme occupée.
Le bourreau et son petit sac
Traversèrent l’obscurité :
Chacun trembla en se glissant
Dans sa tombe numérotée.
***
Ce soir-là, des formes de peur
Remplirent les couloirs déserts ;
Des pas glissèrent en silence
Dans toute la cité de fer ;
Près des barreaux, nuit sans étoiles,
Des visages blêmes guettèrent.
Il reposait comme on repose
Et rêve, en un plaisant jardin.
Les gardiens l’observaient dormir
Et se demandaient incertains :
Comment peut-on rester si calme
Quand le bourreau vient au matin ?
Point de sommeil quand vont pleurer
Ceux-là qui n’ont jamais pleuré :
Car nous - escrocs, dupes, fripons -
Toute la nuit avons veillé.
Nos esprits et nos mains de peine
Vivaient la peur du condamné.
***
Eprouver le remords d’un autre !
Comment supporter cette horreur ?
Percés de l’épée du Péché
Jusqu’à sa garde de malheur.
Le sang que nous n’avions versé
Coulait dans le plomb de nos pleurs.
Et les gardiens chaussés de feutre
Venaient aux portes verrouillées
Pour observer, l’œil plein d’effroi,
Des hommes gris agenouillés,
Etonnés de voir en prière
Ceux qui n’avaient jamais prié.
Nuit de prières à genoux,
Comme les veilleurs fous d’un mort !
Les plumets troublés de minuit
Plumets de voiture des morts.
L’éponge trempée de vinaigre
Avait l’âcreté du remords.
Chant du coq gris, puis du coq rouge,
Mais le jour ne s’est pas levé.
Les formes tordues de la peur
Rampaient où nous étions couchés.
Les esprits malins de la nuit
Par devant nous semblaient jouer.
Ils passaient et repassaient vite,
Tels des voyageurs dans la brume,
En délicats tours et détours
D’un rigodon devant la lune.
Au rendez-vous vinrent les spectres,
Grâce formelle, inopportune.
On les vit s’enfuir grimaçants,
Ombres frêles, main dans la main ;
Ici et là, troupe fantôme
Qui menait le bal du Malin.
Arabesques, damnés grotesques,
Le vent sur le sable au matin !
Pirouettes de marionnettes,
Danse des pieds, danse des corps,
Et leurs flûtes soufflaient la peur.
Un chant si long, un chant si fort,
Pour une affreuse mascarade,
Un chant à réveiller le mort.
Ho ! Criaient-ils. Le monde est vaste !
Boiteux sont les pieds entravés !
Jeter les dés une ou deux fois
Est un jeu des plus distingués.
Dans la triste Maison de Honte,
Perd qui joue avec le Péché.
***
Ces bouffons étaient bien réels
Qui folâtraient avec gaîté.
Pour ceux qui étaient dans les fers,
Dont les vies souffraient enchaînées,
Plaies du Christ ! Ils étaient vivants
Et terribles à regarder.
Ici, là, ils valsaient, tournaient ;
Ceux-là, en couple, minaudant ;
Dans l’escalier, une cocotte
A pas menus, allait devant ;
Ricanement, oeillade en coin,
Dans nos prières nous aidant.
***
Le vent du matin a gémi
Mais la nuit poursuivit sa veille,
Car sur son métier géant, l’ombre
Tissait sa trame de merveille.
Et en priant, nous prenions peur
De la justice du Soleil.
Le vent du chagrin vint rôder
Aux murs de la prison des pleurs,
Et une roue d’acier grava
Chaque minute en notre cœur.
Vent du chagrin ! Qu’avions-nous fait
Pour mériter tel commandeur ?
Puis je vis l’ombre des barreaux
Comme un treillis de plomb fondu,
Devant mon lit fait de trois planches,
Trembler sur le mur blanc et nu.
Et, sur le monde, la terrible
Aurore de Dieu répandue.
***
A six heures, grand nettoyage,
A sept heures, tout se calmait.
Mais l’envol d’une aile puissante
Dans la prison sembla vibrer.
Souffle glacé, le Dieu de Mort,
Venait d’y entrer pour tuer.
Il n’avait pas l’éclat du pourpre,
Ne montait pas de blanc coursier.
Rien qu’une corde et une trappe
Que la potence réclamait ;
Le Héraut du lacet de honte
Accomplissait l’acte secret.
***
Comme des hommes qui tâtonnent
Dans l’ordure d’un marais noir,
Nous n’osions dire une prière
Ni montrer notre désespoir.
Une chose était morte en nous
Et cette chose était l’Espoir.
La sinistre Justice humaine
Suit droit sa route rigoureuse.
Fauche le fort, fauche le faible,
D’une démarche malheureuse.
D’un talon de fer tue le fort,
La parricide monstrueuse !
***
Et nous attendions les huit heures,
La langue de soif épaissie ;
Les huit coups sont ceux du Destin
Par lequel un homme est maudit.
Le Destin prend un nœud coulant
Pour le meilleur et le bandit.
Car nous n’avions rien d’autre à faire
Qu’attendre que l’heure ait sonné.
Comme des rochers solitaires
Nous restions sans bouger, muets,
Mais chaque cœur battait très fort
Comme un tambour de forcené !
***
Puis l’horloge de la prison
A fait vibrer l’air brusquement,
Et la geôle émit une plainte
Dans son désespoir impuissant,
Cri de lépreux dans son repaire
Au fond de marais effrayants.
Comme on voit des choses horribles
Dans le cristal d’un rêve enfui,
Nous vîmes la corde de chanvre
Fixée à la poutre noircie,
Et le bourreau qui étranglait
Une prière dans un cri.
Cette douleur qui l’étreignit,
Jusqu’à pousser ce cri hanté,
Regrets violents, sueur de sang,
Nul mieux que moi ne les connaît :
Qui a vécu plus d’une vie,
Plus d’une mort doit éprouver.

4
Pas d’office dans la chapelle
Le jour où un homme est pendu.
L’aumônier a le cœur trop faible
Ou le visage trop tendu,
Ou ce qui s’écrit dans ses yeux
Par aucun ne doit être lu.
On nous boucle jusqu’à midi,
Puis on sonne la cloche vive.
Des gardiens la clef sonore ouvre
Les cellules trop attentives.
Pour prendre l’escalier de fer
De son Enfer chacun s’esquive.
Dans l’air pur de Dieu nous sortons,
Mais pas comme à l’accoutumée,
Car un visage est blanc de peur,
Gris l’autre visage levé,
Mais dans des yeux ouverts au jour
Jamais ne vis tant de regret.
Tant de regret jamais ne vis
Dans les yeux des hommes, levés
Vers la petite tente bleue
Qu’est le ciel pour les prisonniers,
Vers chaque nuage qui passe
Dans une heureuse liberté.
Parmi nous, il y avait ceux
Qui avançaient tête baissée.
Ils savaient qu’une vraie justice
Aurait dû les exécuter.
Il n’avait tué qu’un vivant.
Eux, c’est le mort qu’ils avaient tué.
Car celui qui pèche deux fois
Livre une âme morte aux tourments,
L’extrait de son linceul taché,
Fait à nouveau couler son sang,
Fait couler d’énormes caillots,
Et la fait saigner vainement !
***
Singes, clowns, habits monstrueux
Marqués de flèches étoilées,
Nous tournions, sans fin, en silence,
Glissant dans le cercle asphalté,
Nous tournions, sans fin, en silence,
Sans qu’un seul mot soit prononcé.
Nous tournions, sans fin, en silence,
Et soufflait le terrible vent,
Dans l’esprit vide de chaque homme,
De ses souvenirs effrayants.
Car si l’Horreur rampait derrière,
La Terreur paradait devant.
***
Surveillant leur troupeau de brutes,
Tous les gardiens se rengorgeaient,
Avec leur tenue du dimanche,
L’uniforme qui reluisait ;
Mais la chaux vive de leur bottes
Nous disait ce qu’ils avaient fait.
Il n’y avait que sable et boue
Où s’était ouverte la tombe.
Le long des murs de la prison
On ne voyait aucune tombe.
Un petit tas de chaux ardente
Servait de linceul à cette ombre.
Ce misérable a un linceul
Que peu pourraient revendiquer :
Au fond d’une cour de prison,
Et pour sa honte dénudée,
C’est là qu’il gît, les fers aux pieds,
D’un drap de flamme enveloppé.
Très lentement, la chaux ardente
Ronge chair et os tour à tour ;
Pendant la nuit, les os cassants,
La chair tendre pendant le jour ;
Ronge chair et os lentement,
Mais ronge les cœurs pour toujours.
***
Pendant trois ans, on ne pourra
Ici, ni planter ni semer.
Pendant trois ans, l’endroit maudit
Sera stérile et désolé,
Et, sans reproche, il fixera
Le ciel d’un regard étonné.
Un cœur d’assassin souillerait,
Croient-ils, le grain semé ici.
Faux ! La tendre terre de Dieu
Est plus tendre qu’on ne le dit.
La rose rouge y est plus rouge,
Et la rose blanche y fleurit.
Pour sa bouche une rose rouge
Et une blanche pour son cœur.
Qui peut savoir comment le Christ
Nous dit son chemin de Sauveur ?
Le bâton sec du pèlerin
Devant le pape ouvre ses fleurs.
***
Les roses blanches de lait ou rouges,
Ici, jamais ne fleuriront.
Car on ne veut nous accorder
Que cailloux, silex et tessons.
Ils savent que les fleurs apaisent
Le désespoir de la prison.
Et des roses rouges ou blanches,
Jamais pétales ne tomberont
Sur ce sable et sur cette boue,
Près de l’affreux mur de prison,
Pour dire à ceux qui tournent là :
Christ est mort pour votre pardon.
***
Aussi, bien que le mur affreux
L’entoure de tous les côtés,
Bien qu’un esprit ne puisse errer
La nuit avec les fers aux pieds,
Bien qu’il ne puisse que pleurer
Qui repose en terre damnée,
Il est en paix - ce misérable -
Ou la paix sera vite en lui :
Plus rien ne peut le rendre fou,
Pas de Terreur en plein midi,
Car il n’est ni Soleil ni Lune
Dans la Terre obscure où il gît.
***
Ils l’ont pendu comme une bête :
Le glas n’a même pas sonné,
Un requiem qui eût offert
La paix à son âme angoissée.
Puis ils l’ont emporté très vite
Et dans un trou ils l’ont caché.
Ils lui ont ôté ses habits,
Aux mouches l’ont abandonné :
Ils ont raillé son regard fixe
Et sa gorge rouge et enflée,
Puis ont jeté avec un rire
Leur linceul sur leur condamné.
Et l’aumônier n’a pas prié
Sur sa tombe déshonorée,
Ne l’a pas marquée de la Croix
Qu’aux pécheurs le Christ a donnée ;
Pourtant cet homme était de ceux
Que Jésus descendit sauver.
Mais tout est bien ; il a franchi
La borne à la Vie assignée :
Les larmes d’autrui empliront
L’urne brisée de la Pitié ;
Des réprouvés le pleureront ;
Toujours pleurent les réprouvés.

5
Je ne sais si la Loi a tort
Ou si la Loi est équitable ;
En prison on sait seulement
Que le mur est infranchissable ;
Que chaque jour est une année
Dont les jours sont interminables.
Mais je sais que la Loi conçue
Par l’homme pour l’homme, depuis
Qu’un homme osa tuer son frère
Et que ce triste monde vit,
Jette le grain, garde l’ivraie
Dans le fond de son van maudit.
Je sais aussi - il serait sage
Que chacun en soit informé -
Que les prisons bâties par l’homme
Sont de briques d’iniquité,
De barreaux pour cacher au Christ
L’homme par l’homme mutilé.
Des barreaux la lune est confuse
Et le bon soleil aveuglé ;
Ils ont bien raison de cacher
Leur Enfer, car ce qu’on y fait
Le fils de Dieu, le fils de l’homme
Ne doivent pas le contempler !
***
Les viles actions, comme l’herbe
Empoisonnée s’y épanouissent ;
Seules les qualités de l’homme
S’y épuisent et s’y flétrissent ;
Au lourd portail l’Angoisse veille
Et le Désespoir aux supplices.
Parce qu’ils affament l’enfant
Effrayé, pleurant jour et nuit,
Flagellent le faible et l’idiot,
Raillent le vieux aux cheveux gris,
Certains deviennent fous ou pire
Et cela sans qu’un mot soit dit.
La cellule étroite où l’on vit
Est latrine obscure et souillée ;
Le souffle puant de la mort
Obstrue la lucarne grillée ;
Et tout est réduit en poussière
Dans la machine Humanité.
Ils nous donnent une eau saumâtre
Troublée de limon répugnant ;
Un pain dur, lourd de craie, de chaux,
Que l’on pèse soigneusement ;
Le Sommeil, hagard, ne dort pas,
Il marche en implorant le temps.
***
La faim maigre et la verte soif
Luttent tels vipère et aspic ;
Mais peu importe la pitance,
Ce qui nous glace et nous détruit,
C’est la pierre levée le jour
Qui devient notre cœur la nuit.
Minuit au cœur dans la cellule
Sombre, nous tournons le foret,
Nous rompons la corde en étoupe,
Chacun dans son Enfer privé,
Et le silence est plus affreux
Que la cloche d’airain sonnée.
Et jamais une voix humaine
Ne nous dit un mot d’amitié ;
Car l’œil derrière le judas
Reste sévère et sans pitié.
Là nous pourrissons dans l’oubli,
Le corps et l’âme saccagés.
Et ainsi, nous rouillons la chaîne
De la vie, seuls et dégradés.
Certains jurent et d’autres pleurent,
Lui ne s’est jamais lamenté.
Mais les lois de Dieu sont clémentes,
Un cœur de pierre y est brisé.
***
Dans la cellule ou dans la cour,
De chacun se brise le cœur,
Comme le vase qui donna
Son trésor à notre Seigneur,
Livrant dans l’antre du lépreux
Du nard les précieuses odeurs.
Ah ! Heureux l’homme au cœur brisé
Qui gagne du pardon la paix !
Comment sans réformer sa vie
Laver son âme du péché ?
Comment, sans un cœur qui se brise,
Le Seigneur pourrait-il entrer ?
***
L’homme à la gorge enflée et rouge,
L’homme aux yeux fixes et meurtris,
Attend la main sainte qui s’ouvre
Pour le larron en Paradis ;
Pour le cœur contrit et brisé,
Le Seigneur n’a aucun mépris.
L’homme en rouge qui lit la Loi
Laissa trois semaines de calme.
C’est un temps bien court pour soigner
Son âme en lutte avec son âme,
Et laver les gouttes de sang
Sur la main qui tenait la lame.
Et ses larmes de sang lavèrent
La lame et la main qui la tint ;
Seul le sang peut laver le sang,
Et les larmes donner les soins.
Le sceau du Christ blanc comme neige
Devint la marque de Caïn.

6
Dedans la geôle de Reading
Est une tombe d’infamie.
Dévoré par des dents de flamme,
C’est là qu’un misérable gît,
Il gît dans un linceul ardent
Aucun nom sur sa tombe écrit.
Laissons cet homme reposer.
Que le Christ appelle les morts !
Nul besoin de gâcher vos larmes
Ni d’exhaler de vains remords.
Il avait tué son amour
Aussi pour cela il est mort.
Pourtant chacun tue ce qu’il aime,
Salut à tout bon entendeur.
Certains le tuent d’un oeil amer,
Certains avec un mot flatteur,
Le lâche se sert d’un baiser,
Et d’une épée l’homme d’honneur.




Les corbeaux

Publié le 13/07/2007 à 12:00 par Odéliane, Perceval, Erzebeth
Les corbeaux
Emile Nelligan (1879-1941)

LES CORBEAUX

J'ai cru voir sur mon coeur un essaim de corbeaux
En pleine lande intime avec des vols funèbres,
De grands corbeaux venus de montagnes célèbres
Et qui passaient au clair de lune et de flambeaux.
Lugubrement, comme en cercle sur des tombeaux
Et flairant un régal de carcasses de zèbres,
Ils planaient au frisson glacé de mes vertèbres.
Agitant à leurs becs une chair en lambeaux.
Or, cette proie échue à ces démons des nuits
N'était autre que ma Vie en loque, aux ennuis
Vastes qui vont tournant sur elle ainsi toujours,
Déchirant à larges coups de bec, sans quartier,
Mon âme, une charogne éparse au champs des jours,
Que ces vieux corbeaux dévoreront en entier.

La nuit de décembre

Publié le 13/07/2007 à 12:00 par Odéliane, Perceval, Erzebeth
La nuit de décembre
La nuit de décembre

D’Alfred de Musset (1810-1857)

LE POÈTE

Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Son visage était triste et beau :
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu'au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.

Comme j'allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d'un arbre vint s'asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Je lui demandai mon chemin ;
Il tenait un luth d'une main,
De l'autre un bouquet d'églantine.
Il me fit un salut d'ami,
Et, se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.

A l'âge où l'on croit à l'amour,
J'étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s'asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il était morne et soucieux ;
D'une main il montrait les cieux,
Et de l'autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu'un soupir,
Et s'évanouit comme un rêve.

A l'âge où l'on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s'asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile.

Un an après, il était nuit ;
J'étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s'asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d'épine ;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.

Je m'en suis si bien souvenu,
Que je l'ai toujours reconnu
A tous les instants de ma vie.
C'est une étrange vision,
Et cependant, ange ou démon,
J'ai vu partout cette ombre amie.

Lorsque plus tard, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J'ai voulu m'exiler de France ;
Lorsque impatient de marcher,
J'ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d'une espérance ;

A Pise, au pied de l'Apennin ;
A Cologne, en face du Rhin ;
A Nice, au penchant des vallées ;
A Florence, au fond des palais ;
A Brigues, dans les vieux chalets ;
Au sein des Alpes désolées ;

A Gênes, sous les citronniers ;
A Vevey, sous les verts pommiers ;
Au Havre, devant l'Atlantique ;
A Venise, à l'affreux Lido,
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique ;

Partout où, sous ces vastes cieux,
J'ai lassé mon cœur et mes yeux,
Saignant d'une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M'a promené sur une claie ;

Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;

Partout où, le long des chemins,
J'ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j'ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme ;

Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j'aime la Providence.
Ta douleur même est sœur de ma souffrance ;
Elle ressemble à l'Amitié.

Qui donc es-tu ? - Tu n'es pas mon bon ange,
Jamais tu ne viens m'avertir.
Tu vois mes maux (c'est une chose étrange !)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t'appeler.
Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie ?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler !

Ce soir encor je t'ai vu m'apparaître.
C'était par une triste nuit.
L'aile des vents battait à ma fenêtre ;
J'étais seul, courbé sur mon lit.
J'y regardais une place chérie,
Tiède encor d'un baiser brûlant ;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie
Qui se déchirait lentement.

Je rassemblais des lettres de la veille,
Des cheveux, des débris d'amour.
Tout ce passé me criait à l'oreille
Ses éternels serments d'un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
Qui me faisaient trembler la main :
Larmes du cœur par le cœur dévorées,
Et que les yeux qui les avaient pleurées
Ne reconnaîtront plus demain !

J'enveloppais dans un morceau de bure
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu'ici-bas ce qui dure,
C'est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde,
Je me perdais dans tant d'oubli.
De tous côtés j'y retournais la sonde,
Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.

J'allais poser le sceau de cire noire
Sur ce fragile et cher trésor.
J'allais le rendre, et, n'y pouvant pas croire,
En pleurant j'en doutais encor.
Ah ! Faible femme, orgueilleuse insensée,
Malgré toi, tu t'en souviendras !
Pourquoi, grand Dieu ! Mentir à sa pensée ?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots, si tu n'aimais pas ?

Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ;
Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien ! Adieu ! Vous compterez les heures
Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce cœur de glace
Emportez l'orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
Sur le mal que vous m'avez fait.

Partez, partez ! La Nature immortelle
N'a pas tout voulu vous donner.
Ah ! Pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner !
Allez, allez, suivez la destinée ;
Qui vous perd n'a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumé ; -
Eternel Dieu ! Toi que j'ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu ?

Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre ;
Elle vient s'asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir ?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
Est-ce un vain rêve ? Est-ce ma propre image
Que j'aperçois dans ce miroir ?

Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n'a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l'ombre où j'ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?
Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n'apparais qu'au jour des pleurs ?

LA VISION

- Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l'ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j'aime, je ne sais pas
De quel côté s'en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.

Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m'as nommé par mon nom
Quand tu m'as appelé ton frère ;
Où tu vas, j'y serai toujours,
Jusqu au dernier de tes jours,
Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.

Le ciel m'a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude.